S.M. Bao Dai (Bảo Đại)
Ă Dalat (ĐĂ Lạt)
Article de Lucien Bodard paru dans le mensuel "France Illustration" du 21 mai 1949.
Lucien Bodard a été correspondant de guerre en Indochine de 1948 à 1955, tout d'abord dans "France-Illustration" puis il intègre l'équipe du mythique "France-Soir" de Pierre Lazareff.
Il apportera son regard incisif sur le conflit indochinois qu'il a couvert en tant que correspondant de presse. Lucien Bodard surnommé par ses collègues "Lulu le Chinois" a eu ses entrées dans l'état-major du Corps expéditionnaire français en Extrême-Orient (CFEO), auprès de l'empereur Bao Dai, mais aussi chez des acteurs de moindre envergure comme l'administrateur civil de Cao Bang ou Deo Van Long , un chef Thai du Nord-Ouest du Tonkin.
Lucien Bodard est le journaliste le plus connu d'Indochine, collaborateur du mensuel "France Illustration" puis de "France Soir".
Toujours avec la mèche en bataille, la cigarette pendante.
A sa descente d'avion S.M. Bảo Đại est accueilli par monsieur LĂ©on Pignon, Haut Commissaire de France, qui fut son partenaire durant les nĂ©gociations.
Le 28 avril 1949, Ă midi moins 20 exactement, S.M. Bảo Đại remettait le pied sur le sol vietnamien pour la première fois après plus de quatre ans. Cela se passait sur l'aĂ©rodrome de Dalat, une piste de terre nue et rouge dans l'immensitĂ© de la forĂŞt tropical.
Il y eut une cérémonie brève et simple, sans correspondance avec l'importance de cet événement historique. Le roi apparut sur l'échelle dans la tenue d'un voyageur expérimenté, avec un casque colonial et d'immenses lunettes noires. En bas, dans tout l'apparat d'une robe mandarinale, S.E. Giao, gouverneur du Centre-Annam et vice-président du Conseil des ministres, s'inclina devant son souverain au nom du peuple vietnamien. Puis monsieur Pignon, haut Commissaire de France, serra les mains de son partenaire de tant de négociations.
On entendit les hymnes nationaux, les troupes rendirent les honneurs et enfin, dans le petit chalet de l'aérodrome, hâtivement décoré de verdures et de fleurs, comme pour une distribution de prix, ce furent les allocutions.
Monsieur le Haut Commissaire montra les dures tâches de l'avenir :
"...Notre souci le plus immédiat, déclare-t-il, doit être de rechercher l'efficacité dans tous les domaines tant ce poursuit sur ce sol un conflit cruel. Cet adversaire que nous savons redoutable, contre lequel cependant nous n'avons point de haine, sait profiter de toutes les indécisions, de toutes les divisions ; à ses ruses comme à sa propagande nous devons proposer le front uni de la loyauté et la clarté ; à ses actions méthodiques, la fermeté dans le dessein et dans l'éxécution, sans exclure, bien entendu, la générosité et la compréhension pourvu qu'elles ne soient pas aveugles..."
L'arrivée à Dalat
A gauche : la reine mère reçoit les hommages.
A droite : la garde impériale rend les honneurs.
A gauche : S.M. Bao Dai s'entretient avec S. Esc. Giao, Gouverneur du Centre-Annam.
A droite : le Prince Vinh Can cousin de l'empereur retrouve ses enfants, qu'il a quittés voila deux ans.
Le roi, en affirmant que la patrie est plus la terre des morts du passé que celle des vivants, montra ainsi le sens de son action prochaine :
Renouer avec la tradition millénaire, cependant adaptée aux nécessités d'une grande politique sociale.
Puis, cependant que le Haut Commissaire remontait en avion pour rejoindre Saïgon, un cortège automobile aux concardes vietnamiennes gagnait le palais impérial de Dalat, en fait une grande et confotable villa dans la solitude d'un bois de pins. Pas d'autre festivité sur la route que quelques arcs de triomphe et quelques autels des ancêtres. Mais à la porte du palais, les notables de la ville étaient là , qui saluaient selon la forme.
En route pour le Palais
A gauche : le fanion impérial.
A droite : la rĂ©ception terminĂ©e S.M. Bảo Đại va regagner sa villa.
Dalat n'est qu'un poste d'attente
A vrai dire la simplicitĂ© de cet accueil avait un sens politique, tout comme le choix Ă©trange de Dalat, cette citĂ© climatĂ©rique conquise sur la brousse, selon un esthĂ©tisme classique : villa genre CĂ´te d'Azur, lac artificiel et un château d'eau qui resemble Ă un clocher d'Ă©glise. En cet endroit Bảo Đại avait bien des souvenirs, souvenirs du temps d'autrefois, quand le jeune empereur, las de l'Ă©tiquette de la cour de Huế, allait reprendre pied avec une existence occidentale. Mais que sont les rĂ©miniscences dans la grande entreprise d'une restauration ? Le roi, c'est ainsi qu'on appelle actuellement Bảo Đại, a choisi Dalat comme un moyen terme.
Il lui fallait être de retour au Vietnam avant la fin du mois d'avril, conformèment à ses accords avec les autorités françaises, et surtout pour démontrer la fermeté de ses intentions. Cependant il ne voulait pas monter sur la scène politique avant que l'Assemblée territoriale de Cochinchine, aient définitivement approuvé des trois "Kys" par l'attachement de la Cochinchine au reste du Vietnam.
Il apparaĂ®t que le retour de Bảo Đại mĂŞme dans des conditions aussi modestes, a provoquĂ© une grande Ă©motion Ă travers le Vietnam. Bien sĂ»r le peuple vietnamien, durement Ă©prouvĂ© par les misères de ces dernières annĂ©es, n'a pas montrĂ© les signes estĂ©rieurs de la joie orientale ; cela aurait du reste Ă©tĂ© beaucoup trop dangereux pour les manifestants !
Cependant à travers les masses des nhaqués est né l'espoir confus de la paix. A cela il est des signes certains, par exemple ces délégations de notables partis en cachette de régions ocupées par le Vietminh afin de saluer l'"Empereur" ; pourtant ces hommes avec leurs bandeaux et leurs robes huilées à l'ancienne mode, risquent leur vie pour ce simple geste.
Il est plus significatif encore que, dans cette Cochinchine, pourtant pénétrée de l'esprit républicain et égalitaire de nos institutions, certains détachements purement nationalistes aient conclu de véritables trêves avec nos troupes, et cela "jusqu'à nouvel ordre". Du reste il y a certains épisodes dénotant un "climat" nouveau : c'est ainsi qu'un offivier français a fait tirer des salves d'honneur pour qu'un colonel nationaliste qui s'était engagé à ne plus combattre nos forces. D'ailleurs la meilleure preuve de la portée de l'évenement est dans le désarroi du Vietminh, du moins dans la partie communiste qui, se départant soudainement de son terrorisme scientifique, recourt au terrorisme de masse, aux grenades et aux fusillades contre les foules elles-mêmes, et cela aussi bien à Saïgon, que dans les villages les plus reculés.
Cette population qui lui échappe, le Vietminh essaie de la conserver par le moyen suprême de l'affolement général.
Ce retour, le peuple n'y croyait pas il y a encore quelques jours, d'où par contre-coup l'effet considérable de la réalité. A travers tout le territoire du Vietnam se propage très vite la rumeur de l'événement : pour la première fois depuis des années un facteur nouveau est donc intervenu.
Certes, il existĂ© dĂ©jĂ des organismes qui se rĂ©clamaient de Bảo Đại. Outre le gouvernement central prĂ©sidĂ© par le gĂ©nĂ©ral Xuan, il y avait aussi les admnistrations locales de Cochinchine, du Tonkin et du Centre-Annam, lesquelles dĂ©tenaient en fait la rĂ©alitĂ© du pouvoir. Ces diverses organisations prĂ©sidĂ©es par des hommes probes et consciencieux, avaient souvent fait des efforts considĂ©rables pour la rĂ©organisation et la pacification du place du pays : mais il faut bien reconnaĂ®tre qu'elles que partiellement rĂ©ussi, faute d'influence.
Que représentent en effet pour les nhaqués quelques intectuels, quelques bourgeois et quelques mandarins ? En dehors du cercle gouvernemental demeuraient toujours non seulement les nationalistes du maquis, mais même les "attentistes" réfugiés dans les villes. Dans ces conditions, ces organismes n'arrivaient même pas à remplir leurs attributions, par manque d'hommes, ils étaients souvent obligés de s'adresser aux Français pour les besognes délicates.
Finalement ils gênaient si peu le Vietminh que celui-ci montrait à leur égard beaucoup de complaisance : pas un assassinat d'"officier" depuis des années. Tant qu'ils existaient sous cette forme le Vietminh avait l'assurance qu'il n'y aurait pas de catastrophe majeure pour lui : pas de perte de contrôle de la population, pas de schisme au sein du maquis, pas de ralliement, des attentistes.
Le retour de S. M. Bảo Đại Ă©tape dĂ©cisive vers la pacification
C'est de tout cela que le Vietminh est maintenant menacĂ©, d'autant plus que Bảo Đại, revient avec ce que Hồ ChĂ Minh n'a jamais obtenu, que ce soit par la nĂ©gociation ou par la guerre : il revient en fait avec l'unification du pays et avec une large indĂ©pendance.
Pourtant pour que l'Ă©venement porte pleinement ses fruits, il faut dissiper les rumeurs dissipĂ©s soigneusement entretenues par le Vietminh sur la personne mĂŞme du souverain. En rĂ©alitĂ© Bảo Đại, qui avait beaucoup souffert de son rĂ´le restreint Ă l'Ă©poque du protectorat, entend jouer lui mĂŞme la grande partie.
Certes, dans le mois de mai le roi se bornera à des consulations. Mais dès que sera acquis le vote des Assemblées sur l'unité du Vietnam il constitura un gouvernement chargé de la mise en vigueur des accords du 8 mars.
Il semble qu'il se rĂ©servera le rĂ´le de chef d'Etat, travaillant avec une sorte de gouvernement de salut public composĂ© de quelques personnalitĂ©s particulièrement respectĂ©es. La forme dĂ©finitive de l'Etat comme sa position officielle au sein de cet Etat, ne seraient dĂ©terminĂ©es qu'après la normalisations du pays : il est cependant probable que Bảo Đại rĂ©tablira alors la monarchie, mais une monarchie de type constitutionnel.
Quant Ă la pacification prĂ©alable, Bảo Đại espère surtout en la rĂ©cupĂ©ration des nationalistes, quitte ensuite Ă une lutte dĂ©cisive contre les Ă©lĂ©ments rĂ©fractaires du Vietminh. Il est probable que cette tâche de ralliement sera considĂ©rablement facilitĂ©e par les nouvelles prĂ©rogatives du Vietnam : l'effet sera certainement considĂ©rable quand celui-ci sera reconnu par les grands Etats mondiaux.
Dans quelques mois s'ouvriront les premières lĂ©gations ou ambassades auprès de la capitale du Vietnam, dans quelques mois Bảo Đại enverra ses premières missions diplomatiques, il en est prĂ©vu trois dans les accords du 8 mars, mais des missions feront connaĂ®tre le nouvel Etat dans les autres Etats.
Il faudra encore bien des efforts avant que le Vietnam soit pacifiĂ© et prospère, mais le retour de Bảo Đại permet d'entrevoir la fin de l'impasse.
Le 8 mars 1952 la fête de l'indépendance
sur le boulevard Norodom Ă SaĂŻgon
Au-dessus : S.M. Bảo Đại et le PrĂ©sident du Conseil Trần Văn Hữu
En-dessous : défilé des troupes vietnamiennes devant les établissements "Jean Comte" boulevard Norodom à Saïgon.
Source : Cabinet de S.M. Bảo Đại 89, avenue de Viliers Paris 17e
BaptĂŞme de la promotion "Hoang Dieu"
Ă l'Ă©cole des cadres de Dalat
A gauche : S.M. Bảo Đại, le prĂ©sident du Conseil Trần Văn Hữu suivi du GĂ©nĂ©ral Salan Commandant en Chef en Indochine passant en revue les cadets de la nouvelle armĂ©e vietnamienne.
A droite : S.M. Bảo Đại passant en revue les cadets de Dalat le 20 avril 1952.
Source : SCA-ECPAD
S.M. Bảo Đại
Bảo Đại (保大帝) en caractères anciens), est le nom d'intronisation du prince Nguyễn PhĂşc Vĩnh Thụy, est nĂ© le 22 octobre 1913 Ă HuĂ©.
Bảo Đại fut le dernier empereur du Vietnam, il abdique en 1945 alors que l'Indochine française sombre en plein chaos Ă la suite du coup de force, puis de la capitulation des Japonais, et lorsque le Vietminh prend le pouvoir. En 1949, durant la guerre d'Indochine, il est ramenĂ© au pouvoir par les Français, non plus avec le titre d'empereur mais avec celui de chef de l'État du Vietnam.
Bảo Đại est destituĂ© en 1954 par un rĂ©fĂ©rendum organisĂ© par son premier ministre NgĂ´ Đình Diệm, il se rĂ©fugie en France Ă Cannes. Ses biens sont saisis par l'Ă©tat vietnamien.
Ayant perdu les subsides français, il doit vendre peu à peu ses biens.
Le 16 septembre 1963, sa femme Nam Phương dĂ©cĂ©de au Domaine de La Perche Ă Chabrignac (Corrèze)
En février 1972, il épouse Monique Baudot, une jeune Lorraine, qui prend le titre de "Princesse Monique". Il effectue quelques voyages à l'étranger où il s'exprime devant la diaspora vietnamienne.
En 1988, il reçoit le baptême sous le prénom chrétien de Jean-Robert.
Le 31 juillet 1997, il meurt d'une tumeur au cerveau à l'hôpital du Val-de-Grâce à Paris.
A ses funérailles, le Vietnam communiste envoie une couronne de fleurs. Il est enterré au cimetière de Passy à Paris.
Il est significatif de l'attitude personnelle de Bảo Đại qu'il n'eut jamais aucun mot contre ceux qui ont Ă©tĂ© ses adversaires: Hồ ChĂ Minh et NgĂ´ Đình Diệm.
Il laisse un hĂ©ritier pour la maison Nguyễn, le prince Bảo Long.
LĂ©on Pignon Haut-Commissaire en Indochine
LĂ©on Pignon, Haut-Commissaire en Indochine d’octobre 1948 Ă dĂ©cembre 1950, il mène les prĂ©paratifs et la signature des accords de l’ElysĂ©e en mars 1949, puis de leur difficile application dans les mois qui suivent. C'est l'homme de la solution Bảo Đại, tentative française pour contrer le gouvernement d' Hồ ChĂ Minh.
Avec le désastre militaire de la Route coloniale 4 en 1950, c’est toute la politique française en Indochine qui se trouve compromise. Léon Pignon jugé, parmi d'autres, responsable de cet échec est rappelé en France.
Il laisse la place au Général de Lattre de Tassigny en décembre 1950, qui cumulera les fonctions de Haut Commissaire et de commandant en chef du Corps expéditionnaire français en Extrême-Orient, en remplacement du Général Carpentier.
Haut fonctionnaire, il mènera encore différentes missions outre-mer ainsi qu'à l'O.N.U.