L'hôtelier d'une petite station
balnéaire de Normandie a juré à sa femme de ne plus toucher à un verre
d'alcool. C'était sans compter avec l'arrivée de Fouquet qui surgit
avec la tentation
NOSTALGIE
- Matelot Hénault Lucien, veuillez armer la jonque, on appareille
dans cinq minutes.
- C'est parti
- Albert, je vous en prie, vous n'allez pas encore tout me saloper
comme la dernière fois.
- Madame, le droit de navigation sur le Yang Tse Kiang nous
est formellement reconnu par la convention du 3 août 1885. Contesteriez-vous
ce fait ?
- Je ne conteste rien. Je vous demande simplement de ne pas
tout me casser comme l'autre jour.
- Oh... mais pardon ! L'autre jour, les hommes de Chung Yang
Tsen ont voulu jouer au con. Heureusement que j'ai brisé la
révolte dans l'œuf, sans barbarie inutile, il est vrai. On n'a
coupé que les mauvaises têtes ; le matelot Hénault peut témoigner.
- Sur l'honneur.
- Bon. Nous allons donc poursuivre notre mission civilisatrice.
Et d'abord, j'vais vous donner les dernières instructions de
l'Amiral Guépratte, rectifiées par le Quartier-Maître Quentin
ici présent. Voilà : l'intention de l'Amiral serait que nous
percions un canal souterrain qui relierait le Wang-Ho au Yang-Tse-Kiang.
- Le Yang Tse Kiang... bon...
- Je ne vous apprendrais rien en vous rappelant que Wang Ho
veut dire fleuve jaune et Yang Tse Kiang fleuve bleu. Je ne
sais si vous vous rendez-compte de l'aspect grandiose du mélange
: un fleuve vert, vert comme les forêts comme l'espérance. Matelot
Hénault, nous allons repeindre l'Asie, lui donner une couleur
tendre. Nous allons installer le printemps dans ce pays de merde
!
- Bon... Je vois qu'vous êtes raisonnables, j'vous laisse...
J'ai des clients à servir, moi.
- Eh ! Dites donc, l'Indigène ! Un peu d'tact, hein !... Parlons
d'autre chose !... Parce qu'on les connaît, vos clients ! La
Wehrmacht polissonne et l'Feldwebel escaladeur !... Hein !...
Et puis merde, j'vous raconterais plus rien, là !
- Chut, Albert ! Vous fâchez pas !
- Mais vous fâchez pas, vous fâchez pas ! Mais, nom de Dieu
d'bordel, j'vous offre des rivières tricolores, des montagnes
de fleurs et des temples sacrés et vous m'transformez tout ça
en maison d'passe !... Vous plantez votre Babylone normande
dans ma Mer de Chine !... Alors !... Matelot Esnault !
- Oui, Chef !
- On va brûler l'village !... Où sont les grenades, que j'les
dégoupillent !...
- Une reddition ?... Soit !... La main d'fer dans l'gant d'velours
!... Matelot, à vos pagaies !
- Oui, Chef !
- Attention aux roches !... Et surtout, attention aux mirages
!... Le Yang-Tsé-Kiang n'est pas un fleuve, c'est une avenue...
Une avenue d'cinq mille kilomètres qui dégringole du Tibet pour
finir dans la Mer Jaune, avec des jonques et puis des sampans
d'chaque côté... Pis au milieu y'a des... des tourbillons d'îles
flottantes, avec des orchidées hautes comme des arbres... Le
Yang-Tsé-Kiang, camarade, c'est des millions de mètres cubes
d'or et d'fleurs qui descendent vers Nankin... Et avec, tout
l'long, des villes-pontons où on peut tout acheter... De l'alcool
de riz, d'la religion, et pis des garces, d'l'opium... Ch'peux
vous affirmer, Tenancière, que le fusilier-marin a été longtemps
l'élément décoratif des maisons d'thé... dans c'temps-là, on
savait rire... ì Elle s'était mise sur la paille / Pour un maquereau
roux et rose / C'était un juif, il sentait l'ail / Il l'avait,
venant de Formose / Tirée d'un bordel de Shanghai.
- Oh, c'est beau !...
- C'est pas d'moi !... C'est des vapes, comme ça, qu'y m'reviennent...
quand j'descends l'fleuve...
Si tu crois que c'est
le moment de faire le zouave.
-
Je m'demande madame
c'que les zouaves viennent faire là-dedans. Quartier
Maître Quentin du corps expéditionnaire d'Extrême-Orient.
Garde à vous ! Envoyer les couleurs.
-t'es qui?
- Ah toi tu ferais mieux de t'en tenir là avant que
tes espagnolades te r'prennent!
- Monsieur Hénault,
si la connerie n'est pas remboursée par les assurances
sociales, vous finirez sur la paille.
- Dis donc p'tit mal
poli, tu veux que j't'apprenne!
- Monsieur Hénault,
je vous interdis de tutoyer mon homme de barre. J'vous
ai d'jà dit qu'vous n'étiez pas de la même famille.
- Alors toi j'te préviens
si t'es venu pour me donner des ordres, j'vais vous
virer tous les deux à coups de pompes dans le train
!
Jean Gabin
"un singe en hiver"
-
Ah! Nous y voilà. Ma bonne Suzanne tu viens de commettre
ton premier faux pas. Y'a des femmes qui révèlent à leur
mari toute une vie d'infidélité, mais toi, tu viens de m'avouer
quinze années de soupçon. C'est pire. J.Gabin
-Ton
cient là, Fouquet. Ton espagnol. Douze verres cassés ça
te dis rien?
- Monsieur. Primo, voila quinze ans que je vous interdis
de me parler. deuxio, si vous ne vouliez pas qu'il boive,
c'est simple, vous n'aviez qu'a pas le servir.
- Alors là monsieur, je vous retorque que, primo, je l'ai
viré. deuxio, les ivrognes y'en a assez dans le pays sans
que vous les fassiez venir de Paris.
- Un ivrogne?
- Ah ben oui ! Un peu ! Même le père Bardasse qui boit quatorze
pastis par jour n'en revenait pas !
- Ah parce que tu mélanges tout ça, toi ! Mon espagnol,
comme tu dis, et le père Bardasse. Les Grands Ducs et les
bois-sans-soif.
- Les grands ducs?!
- Oui monsieur, les princes de la cuite, les seigneurs,
ceux avec qui tu buvais le coup dans le temps et qu'on toujours
fait verre à part. Dis-toi bien que tes clients et toi,
ils vous laissent à vos putasseries, les seigneurs. Ils
sont à cent mille verres de vous. Eux, ils tutoient les
anges !
- Excuse-moi mais nous autres, on est encore capable de
tenir le litre sans se prendre pour Dieu le Père.
- Mais c'est bien ce que je vous reproche. Vous avez le
vin petit et la cuite mesquine. Dans le fond vous méritez
pas de boire. Tu t'demandes pourquoi y picole l'espagnol
? C'est pour essayer d'oublier des pignoufs comme vous. J.Gabin/P.Frankeur
-
J'espère qu'elle me fera tout de même la grâce d'assister
à mes débuts dans les arènes monumentales... Y'aura du monde!..
Luis Miguel attire toujours la foule!.. Y'a longtemps que
je rêve de triompher à Madrid... Le public sera exigeant...surtout
derrière Miguelito... Je vais être obligé de prendre des
risques...Je vais mettre mon costume blanc, celui de mes
débuts... Vous vous souvenez de cette novillada de Tolède...
Ce vent froid...Ce public affreux...Et ce taureau qui ne
voulait pas mourir... Depuis j'en ai estoqué plus de cent!..
Je suis le plus grand matador français!.. Gabriel Fouquet...Plus
celèbre que Fierchoul...Yo soy unico!.. Ca vous intéresse,
papa?
- Peut être?
- Et qu'est ce qui vous intéresse? La matador, le taureau
ou l'Espagne?
- Le voyage, votre façon de voyager
- Ah ça c'est un secret!
- Oh la la !.. Le véhicule je le connais, je l'ai déjà pris,
et c'était pas un train de banlieue, vous pouvez me croire...Moniseur
Fouquet, moi aussi il m'est arrivé de boire... Mais ça m'envoyait
un peu plus loin que l'Espagne... Le Yang tsé Kiang... Vous
avez déjà entendu parler du Yang Tsé Kiang?.. Ca tiens de
la place dans une chambre, moi j'vous l'dis!
- Sûr!... Alors deux xérès?...
- Je ne bois plus, je croque des bonbons...
- Et ça vous mène loin?
- En Chine toujours, mais plus la même... Maintenant c'est
une espèce de Chine d'antiquaire... Quant à descendre le
yang tsé Kiang en une nuit c'est hors de question... Un
petit bout par çi, un petit bout par là... Et encore, pas
tous les soirs... Les sucreries font bouchon... J.P Belmondo / J.Gabin