Les ambulancières en Indochine
Article de Geneviève Dermech paru en Bodard dans l'hebdomadaire "Nord France" du 1er janvier 1949.
Nord France
27, rue Faidherbe
Lille
Geneviève Dermech sera ensuite journaliste à "La Voix du Nord".
En Indochine avec l'une des 6 femmes ambulancières de brousse :
Gilberte Urbain
Lorsque nous arrivons rue Thiers à Anzin, une rue très noire, c'est Gilberte elle même qui nous ouvre la porte. Son visage olivâtre en forme d'amande, éclairé d'immenses yeux noirs, bridés, nous semble étrange. Mais Gilberte nous rassure vite. Son physique asiatique est pure coïncidence : elle est née rue Berthelot.
Après avoir suivi des cours d'aviation à Valenciennes, elle s'engage d'abord dans le service social de l'armée en Allemagne, puis apprenan que Leclerc débarque en Indochine, elle demande à y aller.
- Qu'avez-vous fait pour cela ?
- J'ai fait un acte de volontariat. J'ai fourni un permis de conduire les poids lourds, un diplôme de soins de première urgence, et les enquêtes sur ma moralité et ma santé s'étant révélées excellentes, j'ai pu partir très vite.
- Et quand avez-vous fait votre premier coup de feu ?
- Au Cambodge. J'étais encore secrétaire d'état-major. On m'avait hospitalisée à Siem-Reap, près du temple d'Angkor. Les prêtres du temple étaient venus nous donner une séance d'ombres chinoises. A la faveur de l'ombre, un kommando de Vietnamiens s'était approché de l'hôtel ; ils attaquèrent à la grenade et tentèrent d'entrer par les fenêtres, poignard au poing. Il fallut armer les malades, les enfants mêmes... C'est là que je dus tirer mon premier coup de feu de mitraillette. Ce fut un massacre épouvantable, mais le prince rebelle Chang Rasey, nous crut plus forts que ne l'étions et il abandonna la lutte avant même que le renfort nous parvint... C'est grâce au lieutenant de Cassagnac, le cousin de Saint-Granier... (le Saint-Granier de Ploum ploum tralala...*) que les malades n'ont pas été massacrés.
*Saint-Granier, de son vrai nom Jean de Granier de Cassagnac lança en 1945 les radio-crochets avec l'émission "On chante dans mon quartier" dont l’indicatif était Ploum Ploum Tralala, chanson de Francis Blanche.
Souvenirs d'Indochine
L'ambulancière connaît tous les secrets de la mécanique et répare seule les camions dans la brousse. Elle sait tirer de la mitrailleuse, aussi bien que les légionnaires que l'on voit ici l'entourant sur les marches du temple d'Angkor.
- car les atrociés des Vietnamiens sont bien réelles ?
- dans le Sud, seulement, ils mutilent leurs prisonniers... leur enlèvent la langue ou les yeux... Une infirmière, mademoiselle Breackfeast tombée dans leurs mains, fut brûlée vive.
- Et après Siem-Reap, vous vous fait infirmière ?
- Les solats sont jeunes, ils ont besoin de femmes près d'eux qui soient fraternelles et les soignent. Nous les accompagnons à toutes les attaques - deux femmes avec une cinquantaine de soldats.
Nous vivons leurs vies, mangeons des conserves en campagne, du riz et du poisson sec dans les villages où nous sommes reçus comme des libérateurs.
20% de la population est catholique.
80% dévoré par le paludisme : deux raisons pour qu'ils ont besoin de nous.
Gilberte Urbain la petite Afat
Gilberte Urbain, la petie Afat (Corps des auxiliaires féminines de l’armée de terre), la "môme mitraillette" comme on l'a surnommée, a grade de lieutenant. Citée plusieurs fois, elle fut décorée sur le front d'Indochine de la croix de guerre 1939-45 avec étoile de bronze et de la croix de guerre avec palme et étoile. Elle répond quand on l'a félicite :
" Je connais une fille tout à fait extraordinaire, c'est mon chef : Aline Lerouge *, chef des neuf ambulances du Tonkin, blessée au poumon, dévorée de paludisme, ancienne chef de cellule rouge convertie au catholicisme, c'est elle une héroïne authentique. La France ne sait pas combien elle lui doit !".
* Aline Lerouge, ambulancière, volontaire dès 1945 pour un premier séjour, elle y est blessée. Au cours d'un second séjour, elle gagne une nouvelle citation et, en novembre 1948, la Légion d'Honneur. Rapatriée sanitaire, cela ne l'empêche pas de repartir pour un troisième séjour ; elle coule au volant de son ambulance en traversant un arroyo, le 24 novembre 1950.
La guerre se solde par le saccage des rizières, la ruine de l'Indochine
- Une question, peut-être vaine :
"Vous croyez qu'il y a encore pour longtemps ?
- Ce que nous faisons ne sert à rien si l'on ne nous envoie pas bientôt 200.000 hommes. Pour l'instant, la guerre se solde par le saccage des rizières, la ruine de l'Indochine.
- Vous y retournez ?
- Bien sûr. Les moustiques... la fièvre... les légionnaires... et les parachutistes me manquent... On n'a pas besoin de moi...".
Je la regardais, si simple, si nette, mal à l'aise parmi les coussins et les bibelots du petit salon anzinois. Je songeais que le 28 février 1948, dans dans une embuscade, les Việt Minh avaient traîné cette jolie fille par les cheveux, puis l'avaient abandonnée, la croyant morte : elle était couverte de sang de sa co-équipière, Suzanne Poirié, tuée d'une balle à la tête. Dès que les Việt Minh se furent éloignée, elle se mit à soigner les moribonds.
Gilberte a raison : sa place n'est pas parmi nous, si simple, si pure, et on a encore besoin d'elle.
Genevève Dermech
Les trophées de Gilberte
Giberte a tiré de sa valise deux tropées :
son vieux chapeau de campagne et un drapeau rouge portant l'étoile jaune du Việt Minh dont la prise coûta bien des sacrifices.
L'embuscade
L'embuscade : Attente déprimante derrière le barrage des ambulances.
Au coeur d'une brousse inextricable peuplée de singes... et où les balles fusent d'on ne sait où.
Partis dix, on revient zéro.
Partis cinquante on rentre dix.
Antennes Chirurgicales Avancées
Une demi-heure après avoir reçu sa blesssure, éclats de mortier à la tête et fracture du tibia,, un fantassin vietnamien arrive à l'Antenne Chirurgicale Avancée. Le médecin de son bataillon lui a confectionné une attelle sommaire en bambou. Ce sont les brancardiers du bataillon, en opération à moins d'un kilomètre de l'Antenne, qui l'ont apporté, le long des diguettes : il a perdu beaucoup de sang. L'infirmière prend sa tension artérielle. Elle lui fera sans tarder une transfusion.
Puis il sera déhabillé complétement, lavé de pied en cap ; le pansement sommaire ayant été enlevé, il passera sur la table d'opération où il recevra une piqûre pour "remonter" le coeur et nouvelle injection de plasma. Une demi-heure environ se passera entre son arrivée à l'Antenne et l'intervention chirurgicale.
Dans six ou douze heures, quand il ne sera plus "choqué" c'est mademoiselle Rosset (à droite), croix de guerre, qui l'évacuera en ambulance. Mademoiselle Rosset dite "Minouche" en est à son troisième séjour en Extrême-Orient. "Il faut être tout de même un peu toquée pour venir en Indochine quand on est jeune fille" convient-elle. Mais sa solde file en cadeaux pour les nécessités et les blessés.
L'Hôpital Rocques à Go-Vap
L’Hôpital Roques est situé à Go-Vap dans la banlieue nord de Saïgon (près de l’aéroport de Tan Son Nhut).
Sur les photos figurent mademoiselle Lagrifouc infirmière-ambulancière venant de recevoir son véhicule Peugeot 203 ambulance.
Durant le conflit indochinois, l’Hôpital Grall situé à Saïgon est l'hôpital de réfèrence dans l'Indochine Française. Il fut suppléé par plusieurs autres grandes formations hospitalières installées dans la périphérie de l’agglomération Saïgon-Cholon (415, Coste, Nouaille-Degorce, etc...).
L’Hôpital Roques, a éte ouvert en octobre 1952, dans la banlieue nord de Saïgon. Il répondait à cet objectif de suppléance en raison des besoins sanitaires croissants que réclamaient les circonstances de la guerre. Il faut ajouter que cette notion de suppléance intéressait de plus en plus le corps médical du Service de Santé des Troupes métropolitaines, désigné à servir en Indochine.
Les hôpitaux coloniaux se sont tout de suite révélés comme le support technique lourd absolument indispensable pour conduire à bien une politique sanitaire digne de ce nom. C’est là que la " puissance coloniale" a obtenu le plus beau fleuron de son action.
Geneviève de Galard
l’ange de Điện Biên Phủ
Le 27 mars 1954, le C-47 sanitaire de la Croix-Rouge, avec Geneviève de Galard à son bord, tente d'atterrir de nuit sur la courte piste de Điện Biên Phủ.
L'atterrissage est trop long et le moteur gauche de l'avion est sérieusement endommagé. Les réparations ne pouvant s'effectuer sur place du fait des conditions (terrain inapproprié), l'avion est abandonné et, à l'aube, l'artillerie Việt Minh le détruit ainsi que la piste, les rendant irréparables.
Le 7 mai 1954 à 17 h 30 Điện Biên Phủ tombe...
La restitution des blessés
de Điện Biên Phủ
A gauche : Le docteur Pierre Huard, Doyen de la Faculté de Médecine de Hanoï, le Médecin Colonel Allehaut, Directeur du Service de Santé de l'Armée de l'Air en Extrême-Orient, et le Commandant Roger, du Commandement du Transport aérien ont atteri le 13 mai 1954, vers 13 heures à Dien Bien Phu, en hélicoptère, pour régler la question de l'évacuation des blessés du Camp retranché. Ils en sont repartis vers 17 heures 15. Dès l'atterrissage, à Hanoï, la commission s'est rendue chez le Général Cogny, délégué du Commandant en Chef, pour lui rendre compte de sa mission.
Le Général Dechaux, commandant le Groupement aérien tactique Nord (G.A.T.A.C.) et le Commandant de Maison-Rouge, chef du Cabinet du Général commandant les Forces Terrestres du Nord Vietnam (F.T.N.V.) accueillent le Professeur Huard à sa descente d'avion. A la porte de l'appareil, le Médecin-Colonel Chippeaux.
A droite : La délégation française, dirigée par le Professeur Huard, se rend à Dien Bien Phu le 18 mai 1954, pour négocier avec le commandement Vietminh la restitution des blessés du camp retranché.
Les membres de la commission arrivent à Bach Mai d'où ils vont s'envoler pour Luang-Prabang et Dien Bien Phu. De face : le commandant Jacques Robert et le Professeur Pierre Huard. De dos : le Médecin Colonel Chippeaux. De profil le Médecin Colonel : Pierre Allehaut.
La libération de Geneviève de Galard
Le 24 mai 1954, libération de Geneviève de Galard après dix-huit jours de captivité après la chute de Điện Biên Phủ, une conférence de presse est organisée à Hanoï, sur la photo de droite penché sur une machine à écrire, Lucien Bodard.
City cheers Ange of Dien Bien Phu
Arrivée à New-York le 26 juillet 1954, Geneviève de Galard est accueillie par Robert F. Wagner à l'aéroport Idlewild (en 1963 il deviendra l' aéroport international John-F. Kennedy.
La Cadillac l'emmènera à la Parade Triomphale (Ticker-tape parade) sur Broadway et la 5 ème Avenue où 250.000 personnes l'acclameront.
Remise de la médaille de la Liberté par le Président
Dwight Eisenhower
Le 29 juillet 1954, le Président Dwight Eisenhower lui attribue la médaille de la Liberté (Medal of Freedom) lors d’une cérémonie à la Maison-Blanche à Washington.
En 2010 le Président de la République Nicolas Sarkozy a élevé au rang de Grand Officier de la Légion d'honneur Geneviève de Galard.
Le livre de Geneviève de Galard
Hélie de Saint-Marc (officier parachutiste de la Légion étrangère, ancien résistant français, et l'un des acteurs du putsch d'Alger, en 1961) encouragera Geneviève de Galard a écrire ses mémoires dans un livre publié en 2003:
"Une femme à Điện Biên Phủ"