Yves Boulanger est né le 25 Janvier 1930 à Rumilly en Cambrésis
Caporal-Chef au 24ème Régiment de Marche de Tirailleurs Sénégalais (RMTS)
J’ai décidé, malgré mon âge, d’essayer de bricoler sur Internet, ce qui m’a permis récemment de découvrir les récits d’anciens d’Indochine, ce qui m’intéresse vivement puisque j’y ai moi-même fait deux séjours, de 1948 à 1951 et de 1953 à 1955.
Ayant découvert, entre autres, deux récits «Aventure Indochinoise» et « Bataillons d’Extrême-Orient » du Caporal Henri Darré et du Colonel Bernard Beauplet, qui ont combattu dans les mêmes opérations, respectivement au 2ème BMEO ( Soctrang ) et ( 1er BMEO ) à Travinh (Delta du Mékong).
J’ai aussitôt essayé de joindre Henri Darré…opération réussie…
J’ai pu constater qu’Henri Darré avait raconté sa vie intense en Indochine et, en particulier dans le Delta du Mékong au cours de son séjour de 1947 à 1949 ce qui m’encourageait donc à en faire autant, afin que ma propre famille, mes amis et les générations futures puissent s’imprégner de ce que nous avons vécu, nous les Marsouins, dans ce lointain pays asiatique en guerre…
En conséquence, j’ai moi-même décidé de raconter ce que j’ai vécu à l’extrême nord du Tonkin, à seulement quelques encablures de la frontière chinoise...
Le Pasteur dans le port d'HaĂŻphong
Le Pasteur effectue son premier trajet vers l'Indochine, Marseille - SaĂŻgon (Cap Saint-Jacques), en octobre 1945.
Jusqu'en février 1956, il relie les ports de Marseille ou Toulon à ceux de Saïgon, Tourane ou Haïphong.
La Saint-Sylvestre 1948
Embarqués sur le «Pasteur» fin novembre, nous débarquons à Haïphong le 31 décembre 1948 avec nos Tirailleurs Sénégalais et, à peine sur le sol Indochinois, nous sommes utilisés pour la garde des installations portuaires.
Le campement est vétuste et en cette période de l’année, nous endurons la capote...
Les Sénégalais souffrent un peu...
Pour cette fin d’année 1948, ce ne sera pas la fête pour nous...à vrai dire aucun d’entre nous n’a fait allusion à la «bonne année»…nous avons tous autre chose en tête...
Nous couchons au 1er étage d’un bâtiment, dont le rez-de-chaussée baigne dans trente centimètres de flotte...
Le port d'HaĂŻphong en 1948
Débarquement du matériel militaire dans le port d'Haïphong
Le commandement décide de m’envoyer à Hanoï pour un stage de chiffreur.. J’en profite pour prendre le train qui va de Haïphong à Hanoï, train qui saute pratiquement tous les jours sur des mines placées par les Viets..
Peu après, mon Bataillon fait mouvement sur SonTay en empruntant les digues du Fleuve Rouge et de la Rivière Noire, secteur qui vient d’être reconquis par le 8ème Tabor marocain.
Le Groupement de tabors marocains d'ExtrĂŞme-Orient" ("GTMEO")
Nous sommes entre le Laos et la Chine…
Notre mission est de pacifier et de protéger cette région, qui est le «croissant fertile» situé entre le Fleuve Rouge et son affluent la Rivière Noire.
Nous sommes effectivement situés entre la Chine (qui ravitaille les Viets), et le Laos où, la fameuse piste Ho Chi Minh (passage préférentiel), prend effet en se séparant en trois, une piste longeant la frontière Vietnamienne, et deux autres passant par le Laos et le Cambodge.
Le Général De Lattre de Tassigny à SonTay en 1951
A gauche Yves Boulanger
A droite visite du Général De Lattre de Tassigny à SonTay
(photo prise par Y.Boulanger)
Les digues sont truffées de mines et, les nombreux pièges (touches de pianos-tranchées camouflées), font que nos camions GMC avancent au pas, devancés la plupart du temps par les fantassins. Certains de nos véhicules capotent dans la rizière, les infirmiers s’affairent pour soigner les blessés et les ambulances évacuent les plus gravement atteints ainsi que les victimes.
Quelques-uns d’entre nous, équipés de pelles, rebouchent les trous laissés par les mines, afin que nous ne restions pas coincés….Nous sommes pris par la nuit, une nuit noire comme souvent sous les tropiques, les crapauds buffles croassent de plus belle, les lucioles scintillent, ce serait presque «enchanteur» si ce n’était ces nuages énormes de moustiques qui nous assaillent sans relâche.
Notre colonne, avance au ralenti et arrive Ă Trung Ha.
Nous camperons ici pour le restant de la nuit, dans les véhicules, sous des tentes de fortune... Les sentinelles sont disposées de façon à éviter toute surprise. Nous ouvrons les rations pour un repas rapide et, nous badigeonnons nos corps de produit anti-moustique….les lucioles sont toujours là !
Les dents de nos Sénégalais brillent à la lueur de nos faibles éclairages…nous ne dormons que d’un oeil.
Les tirailleurs sénégalais au Tonkin
24° RMTS à SonTay (photo Y. Boulanger)
Réveil aux aurores. C’est ici que nous nous installons. Petit Louis, le Chef de Bataillon donne des ordres pour installer le PC, l’infirmerie, la cantine, etc…il a même l’intention d’installer un bordel (BMC) et il chargera pour cela, un officier pour aller recruter quelques congaïes à Hanoï.
Quelques équipes partent, aux alentours, dans la montagne pour y installer les postes de gué, qui contribueront à notre sécurité.
La fourmilière est au travail….déjà des unités de la Royale accostent, nous apportant du ravitaillement, des munitions et différents matériels.
Nous installons un local pour les transmissions et là , j’en serai le responsable.. autrement dit, la vie du bataillon est un peu entre mes mains et celles de mes collègues.
Mon boulot est le « chiffre » et, de ce fait, je suis très souvent soit avec le chef de Bataillon soit avec les officiers à qui il a confià des missions spéciales, la communication et la transmission devenant un critère important pour notre survie.
Le Capitaine Tourret est le responsable civil et militaire des secteurs de Trung Ha et Sontay et, de ce fait, le «courant» ne passe pas toujours entre lui et notre chef de Bataillon.
Nous devons assurer la sécurité et, en conséquence la réparation de dommages causés la nuit par les Viets.. des coolies d’origine Muong pour la plupart, sont recrutés pour réparer les pistes, boucher les «touches de piano», ces tranchées presque invisibles qui font beaucoup de dégâts sur nos matériels en admettant que ce ne sont pas certains de ces zigotos qui déposent les mines la nuit.
A gauche traversée d’un arroyo
A droite Un poste de gué
(photos Y. Boulanger)
Nous sommes très bien installés et organisés de façon à faire face aux multiples interventions de l’ennemi et, c’est en janvier 1951 où, une forte concentration Vietminh traverse la Rivière Noire, attaquant Trung Ha, Dan The ainsi que nos postes qui répondent sans faiblir, causant des pertes sensibles chez les Viets.
Zone de combat de SonTay et Trung Ha
Nos tirailleurs Sénégalais ne se laissent pas impressionner ni d’ailleurs, le 8ème Tabor installé un peu plus loin, qui a déjà pas mal réduit l’attaque Viet.
Quelques-uns d’entre nous ont été tués ou blessés, en particulier au cours de l’embuscade de Janvier 1951, le Sergent radio Durand était parmi ceux-là ... c’était un de mes proches amis..
Ma fonction de chiffreur m’a également appelé à être présent lors de la visite du Général De Lattre de Tassigny, lors de sa venue à SonTay pour visiter les honorables personnalités civiles de la région.
Nous avons recueilli des troupes nationalistes Chinoises, qui se repliaient sans doute vers Taïwan, via le Vietnam, en soldant leurs armes chinoises et même quelques carabines américaines….
Les troupes nationalistes chinoises
Les troupes nationalistes chinoises se repliant vers TaĂŻwan
(photos Y. Boulanger)
Une attaque Viet importante est survenue ensuite obligeant le Capitaine Tourret à intervenir avec un commando de 80 Sénégalais, plusieurs compagnies de partisans Tonkinois et deux canons dont un avait été subtilisé par les Viets et, récupéré par la suite.
Notre Chef de Bataillon ayant été relevé de ses fonctions, son adjoint, le Capitaine Pierre Tourret devient notre Chef de Bataillon en titre, il lui sera adjoint un Chef de province Vietnamien pour ce qui dépend de l’administration civile.
Les lieutenants Milcent et Lecomte sont très actifs en ce qui concerne la sécurité.
Ma fonction de chiffreur rattaché aux transmissions, me permet d’être utilisé en tant que «Radio 300» lors des opérations autour de Trung Ha et SonTay.
C’est ainsi que s’est passé mon premier séjour au Vietnam du Nord et, j’ai ainsi constaté, de par les nombreux ralliements, que même si les Vietnamiens sont épris de liberté et d’indépendance, ils aiment toujours la France.
Poste de gué sur la Rivière Noire (Photo :Y. Boulanger)
Fait le 5 décembre 2009 à Cambrai
Caporal-Chef Yves Boulanger ( 24° RMTS)